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Channel: anticolonialisme – Mémoires d'Indochine
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Le « Néo Dai Viêt » fête ses 55 ans d’existence

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Depuis la chute de Saigon en 1975, le paysage politique vietnamien s’est réduit comme peau de chagrin. Les partis d’opposition, démocrates et non communistes, jugés « réactionnaires » ont tous été interdits, leurs leaders pourchassés, emprisonnés, exécutés ou relégués en exil forcé. Seuls quelques partis et mouvements para-communistes ont été tolérés par le nouveau pouvoir acteur de la réunification par la force. L’existence en exil de quelques formations politiques historiques, réprimées sur la longue durée par le colonialisme français et le totalitarisme communiste tient du miracle.

En 1988, les fantomatiques Parti Démocratique et Parti Socialiste, fondés respectivement en 1944 et 1946, ont été dissous et l’État vietnamien est depuis lors cet État-Parti exclusivement dirigé par le Parti Communiste Vietnamien. Toutes autres formes d’organisations politiques (club, think tank, parti politique, associations indépendantes du pouvoir ou syndicat) sont formellement interdits par le régime.

Parmi les survivants, acteurs politiques majeurs sous la République du Viêt-Nam (1955-1975), il faut compter sur les partis nationalistes « traditionnels » anticoloniaux, le Viêt Nam Quôc Dân Dang, fondé en 1927 et dirigé par Nguyên Thai Hoc (guillotiné par les Français le 17 juin 1930 à Yên Bai) et le Dai Viêt Quôc Dân Dang, fondé en 1938 et dirigé par Truong Tu Anh (disparu en décembre 1946 à la suite de son arrestation par le Viêt-Minh)1. Ces deux partis républicains ont joué un rôle majeur dans l’avènement de l’État du Viêt-Nam, présidé par S.M. Bao Dai entre 1949 et 1954 puis dans la construction d’un État démocratique non communiste au sud du 17e Parallèle entre 1955 et 19752. La guerre et la partition du pays en deux Viêt-Nam (Nord contre Sud) entre 1955 et 1975 n’a pu favoriser l’accomplissement d’un pouvoir civil démocratique fort pour s’opposer au Nord Viêt-Nam totalitaire3.

De gauche à droite : Drapeau du Front QDD de 1945-1946 (également drapeau du VNQDD et du DVQDD) ; drapeau du Tân Dai Viêt de 1964 ; drapeau du Dai Viêt Cach Mang Dang (Dai Viêt Révolutionnaire) de 1965 (reprend le fond jaune et rouge du VNQDD de 1930).

Le dimanche 3 novembre 2019, en Californie, un débat politique intitulé « Berlin, Hong Kong, Viêt-Nam » était organisé à l’occasion du 55e anniversaire du Tân Dai Viêt ou Néo-Dai Viêt en exil aux Etats-Unis et en Europe depuis la chute de Saigon4. C’est pour nous l’occasion de revenir rapidement sur l’histoire de cette formation politique marquée par la figure de l’intellectuel Nguyen Ngoc Huy, décédé le 28 juillet 1990 en France5.

Le Néo-Dai Viêt, fondé le 14 novembre 1964, est une scission du parti Dai Viêt fondé en décembre 1938 par Truong Tu Anh. Cette nouvelle formation politique est mise sur pied sous la République du Viêt-Nam pour répondre à une nouvelle situation au Sud. L’assassinat du Président Ngô Dinh Diêm et le renversement de son régime semi-autoritaire ouvre la voix à une expression démocratique plus large. Le vide politique à la suite du renversement du régime diemiste est une opportunité pour les partis nationalistes traditionnels de se réorganiser et de jouer un rôle politique au Sud. En 1964, l’objectif du Néo-Dai Viêt est de participer activement à l’avènement d’un état de droit démocratique au Sud, selon lui le meilleur régime à opposer au Nord communiste. Le Néo-Dai Viêt n’opère pas dans la clandestinité comme les anciens partis nationalistes anticoloniaux. Son action est publique et il présente des candidats à chaque élection. En 1964 également, Nguyen Ngoc Huy, le principal fondateur, rénove et étoffe considérablement la doctrine politique dite de la « Survivance du Peuple » préconisée par Truong Tu Anh en 1939 dans le contexte du Viêt-Nam colonisé. Il publie la doctrine rénovée en deux volumes à Saigon sous le titre « Dân tộc sinh tồn : Chủ nghĩa Quốc gia Khoa học » (La Survivance du Peuple : un nationalisme scientifique)6.

L’idée de Nguyên Ngoc Huy est de fonder une véritable démocratie libérale et progressiste au Sud Viêt-Nam pour accompagner le développement économique et mettre en place des institutions étatiques fiables dans un pays divisé et miné par la guerre civile. Pour élargir son auditoire politique et rivaliser avec l’appareil communiste nordiste infiltré au Sud, le Néo-Dai Viêt créé une organisation de masse dénommée le Mouvement National Progressiste (MNP ou Mouvement National Radical, Phong Trào Quốc Gia Cấp Tiến) en 19697. Le Mouvement prend de l’ampleur, bénéficie d’une réelle assise dans le delta du Mékong lors des élections mais son leader le professeur Nguyên Van Bông est tué lors d’un attentat organisé par le réseau d’agents secrets dit du Comité de Sécurité T4 (pour la région de Saigon-Cholon) implanté au sud pour détruire l’appareil politique sudiste. Cette perte plonge de nouveau le Sud dans le chaos et le désarroi parmi la classe politique supportant l’idée d’un pouvoir civil. En effet, Nguyên Van Bông était pressenti pour devenir le futur Premier ministre de la République.

A l’heure actuelle, l’activité du Néo-Dai Viêt, à l’instar des autres partis politiques exilés, s’est considérablement réduite. Les membres qui sont nés au Viêt-Nam et ont participé à la vie politique de la République du Viêt-Nam avancent en âge et disparaissent chaque année, la jeune génération, moins impliquée dans les partis traditionnels, s’engage plus volontiers au sein de réseaux de lutte ou d’organisations rivales comme le Viêt Tân, plus modernes sur le plan de l’activisme. Cependant, le Néo-Dai Viêt exerce toujours une certaine influence sur le positionnement politique de la communauté exilée. Il organise régulièrement à l’instar d’un think tank des débats politiques sur la situation internationale et mobilise les jeunes générations à prendre conscience de l’impérialisme chinois en Asie du Sud-Est.

A l’aide de la doctrine de la « Survivance du peuple » qui anime toujours ce parti, il met en avant le « danger de disparition » du Viêt-Nam dirigé par un État-Parti pieds et mains liés avec Pékin. Il alerte sur la politique militaire de fait accompli de la Chine en Mer de l’Est (Biển Đông) et tente de proposer une solution politique pour un Viêt-Nam post-communiste8.

Le parti est actuellement présidé par M. Lê Minh Nguyên qui fait du combat pour la démocratisation du régime une priorité de son mandat (2017-2021)9. Fait remarquable, le jour de cette commémoration, un vieux militant de la première heure, M. Hoai Son Ung Ngoc Nghia, âgé de 96 ans, membre du Dai Viêt historique puis l’un des 14 co-fondateurs du Néo Dai Viêt en 1964, est monté à la tribune pour rappeler quelques points de l’évolution du parti rythmés par ses souvenirs personnels10. M. Ung Ngoc Nghia est l’un des derniers vétérans de la mouvance Dai Viêt. Son allocution fut suivie par celle du dirigeant actuel du Dai Viêt Quôc Dân Dang « canal historique », M. Tran Trong Dat qui rappelait la nécessité d’unifier les différentes factions issus du Dai Viêt de 1938 dans la lutte pour le pays natal11. Ce rêve d’unification des factions Dai Viêt a trouvé ses limites en 1988 lorsque la même expérience a été tentée et n’a duré que quelques mois.

Enfin, les différents discours de ce 55e anniversaire furent suivis d’une journée de débat à travers trois interventions sur la chute du Mur de Berlin, sur la démocratie hongkongaise et sur la question de la démocratie au Viêt-Nam. En particulier, l’évolution de la lutte de Hong Kong face à Pékin donna lieu à de nombreux échanges.

A travers ce 55e anniversaire, les organisateurs font passer le message à leurs compatriotes à l’intérieur du pays que la lutte pour un autre Viêt-Nam est encore possible, ce que la résilience et la détermination des formations politiques nées sous la colonisation ou pendant la guerre civile démontrent.

FG, 09/11/2019.

Notes

  1. Voire notre panorama général des partis politiques vietnamiens sur Mémoires d’Indochine : Aperçu illustré sur les organisations politiques, religieuses et culturelles vietnamiennes contemporaines
  2. Sur le rôle du Dai Viêt pendant la période baodaiste, voir notre étude : Dai Viêt, indépendance et révolution au Viêt-Nam. L’échec de la troisième voie (1938-1955), Paris, Les Indes savantes, 2012
  3. Raison pour laquelle, une catégorie dite « démocratie militaire » a été proposée par des chercheurs travaillant sur les régimes démocratiques en construction dans un contexte de guerre civile, concept auparavant pour les périodes antiques et modernes
  4. Cf. Đảng Tân Đại Việt Kỷ Niệm 55 Năm Ngày Thành Lập Đảng ; Hội Thảo Chính Trị: Tường Bá Linh Sụp Đổ, DC Hồng Kông, Dân Chủ VN, Viêt Bao Online, 07/11/2019
  5. Sur le parcours politique de cet intellectuel voir notre chapitre d’ouvrage : « An Intellectual through Revolution, War, and Exile. The Political Commitment of Nguyen Ngoc Huy (1924-1990) »,in Nathalie Huynh Chau Nguyen (ed.), New Perceptions of the Vietnam War. Essays on the War, the South Vietnamese Experience, the Diaspora and the Continuing Impact, Jefferson (NC), McFarland, 2015, pp. 41-71
  6. Ces deux volumes interdits de circulation par les autorités communistes après 1975 comme la plupart des écrits politiques ont été réédités aux États-Unis en 2006
  7. Le terme « radical » est à comprendre dans le sens de Parti radical, social démocrate
  8. Ce fut d’ailleurs l’objet d’un colloque avorté en 1993 à Hô Chi Minh-Ville marqué par l’arrestation de membres du Tân Dai Viêt co-organisateurs ou participants
  9. Cf. Việt Luận phỏng vấn ông Lê Minh Nguyên Chủ tịch đảng Tân Đại Việt, Việt Luận, 1er mai 2019
  10. Đảng Tân Đại Việt Kỷ Niệm 55 Năm Ngày Thành Lập Đảng, art. cit.
  11. Đảng Tân Đại Việt Kỷ Niệm 55 Năm Ngày Thành Lập Đảng, art. cit.

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